La thérapie génique génère beaucoup (trop?) d'espoir

25 mars 2024

Depuis quelques mois, la thérapie génique pour l’audition est sur toutes les lèvres et dans les médias. Fin novembre 2023, des chercheurs chinois ont annoncé au monde entier avoir rendu l’audition à quatre enfants nés sourds grâce à cette technique. Fin janvier 2024, c’était au tour des Américains de faire part d’une prouesse équivalente, réalisée sur le jeune Aissam Dam, 11 ans. Quelques jours plus tard, la France a annoncé à son tour le lancement de son essai clinique en thérapie génique. L’étude thérapeutique, qui sera menée par l’Institut de l’audition (Institut Pasteur), le service ORL et le centre de recherche en audiologie pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades, la Fondation pour l’audition et la biotech française Sensorion, consistera à injecter le médicament de thérapie génique SENS-501 directement dans l’oreille interne d’enfants souffrant d’une surdité résultant d’une perte d’audition liée à un déficit en otoferline. Il s’agit d’une avancée thérapeutique majeure et réjouissante, car pour la première fois, la médecine parvient à restaurer l’audition, alors qu’elle se contentait jusque là de la compenser avec des appareils. Mais cette surmédiatisation conduit désormais certains patients malentendants à refuser de se faire poser des implants cochléaires, au grand dam des spécialistes de cette thérapie. En effet, ils alertent, seule une petite partie des patients sera éligible à cette thérapie et cette attente serait une perte d’un temps préjudiciable pour le malentendant.

En novembre 2023, l'équipe médical de l'université de Fudan, en Chine, a réalisé des essais de thérapie génique sur quatre enfants sourds. Elle a ainsi réussi à réparer leur audition. © Fudan University Media Center

Lors des Assises face et cou qui ont eu lieu à Cannes le 2 février 2024, le Pr Paul Avan, directeur du Centre de Recherche et d’Innovation en Audiologie Humaine (CERIAH), a abordé le sujet devant une assemblée de professionnels de l’audition. « Depuis deux ou trois mois je reçois des lettres de patients qui me disent : « j’ai besoin d’un appareillage, mais comme il va y avoir les thérapies géniques, alors je ne veux pas le faire. Je ne veux surtout pas d’implant cochléaire [dispositif médical implanté chirurgicalement dans l’oreille et positionné sur le crâne, NDLR], ça risque de détruire mes cochlées. Je préfère attendre une thérapie génique » », témoigne l’expert.

« C’est très inquiétant. Est-ce que la surdité de ce patient est génétique ? Si oui, quel gène est en cause ? Et d’autre part, pendant les cinq ou dix ans qui le séparent d’une thérapie, que va-t-il faire ? C’est préoccupant. C’est un cauchemar qui risque d’attendre le patient à la fin de son rêve fou. » estime le Pr Avan.

Un jeu risqué

En effet, un patient sourd qui attendrait trop longtemps pour se faire poser un implant cochléaire risque de rencontrer des difficultés à entendre à nouveau. Le cerveau peut perdre sa capacité à interpréter les signaux auditifs, rendant ainsi la réadaptation plus difficile après l’implantation et entraînant un isolement social susceptible de favoriser à terme l’apparition de démences. Dans le cas d’un enfant sourd dont les parents tergiverseraient trop à lui faire poser un implant, pourrait l’empêcher d’avoir accès à l’oralité. Passer un certain âge sans avoir entendu un seul son, le cerveau supporterait très mal une implantation pour entendre pour la première fois.

Enfin, dans certains cas tragiques, si elle n’est pas traitée très rapidement, la perte auditive peut devenir irréversible. Les cellules ciliées (cellules auditives sensorielles) de l’oreille interne peuvent subir des dommages permanents au fil du temps, ce qui rend l’implant cochléaire moins efficace une fois finalement posé.

Une thérapie efficace seulement pour une certaine forme de surdité

Quelles sont les chances pour ces patients attentistes de bénéficier des miracles de la thérapie génique ? Elles sont faibles. Pour l’heure, l’efficacité de ce traitement pour les humains n’a été démontré que pour des enfants souffrant d’une surdité DFNB9, le gène non muté de l’otoferline, qui ne représente pas plus de 8% des cas de surdités et qui a la particularité d’être réversible. Ainsi, le jeune Aissam Dam souffrait d’une mutation génétique empêchant la production d’otoferline, une protéine dont les cellules ciliées de l’oreille interne ont besoin pour convertir les vibrations sonores en signaux chimiques envoyés au cerveau. Privée de cette protéine, la transmission du son ne se fait pas vers les nerfs auditifs. Le 4 octobre 2023, des chirurgiens ont enlevé partiellement le tympan du jeune garçon avant de lui injecter un virus inoffensif ayant été modifié pour transporter des copies fonctionnelles du gène de l’otoferline dans le liquide interne de sa cochlée. En janvier, le garçon se mettait à entendre pour la première fois, créant une vague d’espoir pour de nombreuses personnes. Le Dr Yilai ShuI, de l’hôpital de Fudan University, en charge des essais chinois, a estimé les enfants avait retrouvé 60 à 65% d’une audition normale.

Si les chercheurs s’intéressent aujourd’hui spécifiquement à la surdité liée à la mutation de l’otoferline, c’est car celle-ci n’entraîne pas la mort des cellules ciliées, bien qu’elles soient incapables de jouer leur rôle de transmission du son. Dans les oreilles du petit Aissam tout était donc déjà anatomiquement en place pour que la transmission du son puisse se faire, une fois le gène réparé. Représentant entre 1 et 8% des cas de déficience auditives à la naissance, les anomalies du gène de l’otoferline sont rares. Selon la biotech française Sensorion, ce type de surdité touche 10 à 20 naissances par an en France.

Trop de mésinformation

« La donne est particulière, c’est une surdité très peu fréquente en France. La thérapie génique reste du cas par cas. Aura-t-on la même efficacité avec les autres cas de mutation ? On l’ignore », analyse Paul Avan. Quant à la durabilité de l’efficacité de cette thérapie, « l’avenir nous le dira ». Et puis surtout, les laboratoires pharmaceutiques vont-ils investir dans toutes les mutations génétiques à l’origine des surdités, dont certaines encore plus rares ? Rien n’est moins sûr.

De son côté, le Pr Saaid Saffiedine, qui codirige une étude sur la thérapie génique à l’Institut Pasteur, invite également à la prudence. « La thérapie génique a fait un pas de géant pour ce qui est de l’otoferline, il est désormais clair qu’elle peut fonctionner sur l’homme, mais en soit, elle évolue très lentement. Le problème, c’est que les informations sont bien trop souvent mal interprétées. Beaucoup de gens croient qu’elle est valable pour toutes les surdités. Quand je donne des cours, je reçois des emails de gens disant : « Je n’ai pas de cochlée, est-ce que la thérapie que vous avez mis en place marchera pour moi ? ». Il faut éclaircir les choses car sinon nous allons être inondés de demandes incongrues et auxquelles nous n’avons pas de réponses ». Et de conclure : « Mon équipe et d’autres travaillent actuellement à essayer de traiter d’autres surdité par la thérapie génique mais dans l’immédiat rien n’est fait. »

Raphaëlle de Tappie