10/04/2024

Il est de plus en plus difficile en France de trouver un professionnel pour se faire prescrire ses premières audioprothèses, et tout indique que cela va encore s’aggraver dans les prochains mois et années.

En cause, notamment l’âge des médecins ORL, les seuls autorisés depuis le 1er octobre 2022 à prescrire la première aide auditive. Ils sont nombreux à être à deux doigts de la retraite, voire avoir largement dépassée l’âge depuis longtemps.
Pour le montrer, le Syndicat des audioprothésistes (SDA) a compilé les données de l’Assurance maladie pour toutes les aides auditives présentées au remboursement en 2021, 2022 et 2023, ce qui permet d’obtenir des statistiques à l’échelle nationale. L’un des résultats les plus surprenants est l’âge du prescripteur. 52% des audioprothèses prescrites par un ORL en 2023 l’ont été par un praticien de plus de 60 ans. 32% ont même été prescrites par un ORL de plus de 65 ans.

Avec une moyenne d’âge aussi élevée dans cette profession, beaucoup d’ORL ont récemment cessé leur activité, et les autres suivront le même chemin dans les prochains mois ou années. Ainsi, les délais pour obtenir un rendez-vous avec un médecin ORL s’allonge. Or la prescription est indispensable pour se faire rembourser par l’Assurance maladie, ces appareils coûtant en moyenne environ 3 000 euros pour les deux oreilles sans remboursement.

Le même Syndicat d’audioprothésistes estimait en mars 2023, que seulement 8% des Français arrivaient à obtenir un rendez-vous chez ce spécialiste en moins de 4 semaines en 2022, alors qu’ils étaient, selon le SDA, plus de 50% a y parvenir en 2018.
Et pourtant, les Français souffrant d’une perte d’audition doivent, en théorie, obligatoirement se tourner vers un médecin ORL pour obtenir la prescription de leurs premiers appareils. Alors que les médecins généralistes étaient autorisés à faire cette prescription jusqu’au 1er octobre 2022 (sauf pour les enfants de moins de 6 ans, qui doivent depuis toujours consulter un ORL), cette autorisation a été suspendue. Depuis cette date, les généralistes qui voudraient continuer à prescrire, doivent suivre une formation spécifique, que seule une centaine de généralistes a effectivement suivi, sur les 100 000 que compte la France. Pas de quoi régler le problème.

 

Age des ORL prescrivant les audioprothèses : 52% des audioprothèses prescrites par un ORL en 2023 l’ont été par un praticien de plus de 60 ans. 32% ont même été prescrites par un ORL de plus de 65 ans. ©SDA

Et pourtant, les chiffres du SDA montrent que les médecins généralistes continuent à prescrire. En décembre 2022, deux mois après l’interdiction, ils étaient encore à l’origine d’environ 36 % des prescriptions, un nombre comparable à ceux d’avant l’interdiction.

Julie Pougheon, la Conseillère spéciale pour la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) auprès du Ministère de la santé, et ancienne de l’Assurance maladie, a donné une explication le 29 mars 2024, lors du Congrès des audioprothésistes à Paris : « Il y a une consigne de souplesse sur cette mesure de fin de la primo-prescription [par les médecins généralistes], pour l’amortir » a-t-elle expliqué lors d’une table ronde.

Sans compter qu’il a été rappelé par l’un des interlocuteurs que l’Assurance maladie n’avait de toute façon pas la possibilité technique de savoir si le médecin généraliste avait suivi ou non la formation lui permettant de prescrire cette première aide auditive. Ce qu’a convenu la conseillère. Ainsi, une prescription de son médecin généraliste reste une possibilité dans les faits pour obtenir une prescription même pour sa première aide auditive. Pour ce qui est des renouvellements d’aides auditives, cela ne pose pas de problème, les médecins généralistes restent autorisés à les délivrer.
Autre solution envisagée par les professionnels de l’audition pour pallier cette pénurie de prescription : avoir recours à la téléconsultation. Certaines enseignes d’audioprothèses ont par exemple installé des espaces dans leur centre pour proposer sur place des téléconsultations avec un médecin Orl se trouvant à distance. C’est une mauvaise idée, car d’après nos informations, les remboursements sont alors bloqués par l’Assurance maladie, cette dernière estimant qu’il n’est pas possible d’observer correctement les oreilles du patient de cette façon. Ainsi, les factures de l’audioprothésiste resteront en suspens à l’Assurance maladie. En revanche, cela impacte peu l’assuré qui aura réglé uniquement son reste à charge à l’audioprothésiste, mais cela peut malgré tout compliquer la relation avec le professionnel.

Ainsi, alors que le 100% santé a permis de rendre accessible financièrement les aides auditives au plus grand nombre, avec un remboursement bien meilleur, voire total avec des appareils de classe 1, obtenir la prescription risque de devenir désormais la plus grande difficulté.

Caroline Vettorello

Répartition des prescriptions d'aides auditives entre les médecins généralistes (en bleu) et les médecins ORL (en orange)