Des démarchages qui se multiplient
8 avril 2024
Si la mise en œuvre du 100 % Santé a permis d’accéder plus facilement à l’appareillage auditif, cette réforme a aussi attiré des personnes peu scrupuleuses sur le secteur de l’audioprothèse. Ces derniers mois, les arnaques ont tendance à se multiplier, ainsi que les démarchages pour des tests auditifs par téléphone, SMS ou via les réseaux sociaux. Est-ce des arnaques ? La rédaction d’Audiweb a enquêté.
Mon téléphone sonne : « Bonjour M. Martin, je vous appelle car le gouvernement organise une grande campagne de dépistage de l’audition ». « Je ne suis pas M. Martin ». « Ce n’est pas grave », me répond-on en me proposant de donner mes coordonnées pour organiser un rendez-vous pour tester mon audition. Je me méfie : « Vous travaillez pour qui ? » et la réponse fuse « Pour le gouvernement ». Je demande des précisions. Le démarcheur raccroche précipitamment. Voici une situation à laquelle vous avez peut-être été confronté. Certains tentent leur chance sur des numéros récupérés au hasard des informations que nous laissons sur des sites en ligne, d’autres profitent de revente de fichiers pour avoir votre nom et votre numéro de téléphone pour vous proposer un rendez-vous chez un audioprothésiste, d’autres encore misent sur des « publicités » alléchantes annonçant qu’il leur manque encore 10 testeurs pour des audioprothèses « gratuites » ou vente l’accès toujours sans frais à des aides auditives de haute technologie… Alors que les essais gratuits sont une obligation pour tous les audioprothésistes.
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Ce questionnaire pour un test auditif est l'un de ceux qu'a suivi la rédaction d'Audiweb pour vérifier ce qui se cachait derrière le démarchage par téléphone, SMS ou réseaux sociaux. Il revêt le drapeau français et des noms de magazines abusivement, mais le professionnel qui reçoit est la plupart du temps sérieux
Le démarchage est interdit par la loi
Tout d’abord, sachez que l’Assurance maladie, l’OMS, le ministère de la Santé ou tout autre organisme officiel ne téléphonent pas pour proposer des rendez-vous chez un audioprothésiste. Tout au plus, l’Assurance maladie vérifie parfois auprès des assurés que leur appareillage auditif s’est bien passé, pour contrer les fraudes de quelques professionnels de santé qui dérivent parfois. L’utilisation de signes officiels rappelant une instance gouvernementale comme des cocardes tricolores est frauduleuse. De plus, tout démarchage est interdit aux audioprothésistes par la loi (L4361-7). « Certains professionnels du secteur jouent parfois sur les mots et mettent en avant que si le patient a répondu à un questionnaire, le contact provient de sa propre initiative. Il y a aussi des sociétés de démarchage au même titre que celles qui appellent pour les pompes à chaleur : dans l’audioprothèse, ces démarches sont interdites.
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Ce post Facebook sponsorisé pour des tests auditifs utilise abusivement le drapeau français pour laisser croire que le ministère de la santé est derrière cette opération
Mais derrière cette prise de contact légalement contestable, il y a la plupart du temps des audioprothésistes bien intentionnés et tout à fait professionnel, qui cherchent seulement à élargir leur base de prospection. Cependant, il y a parfois de véritables arnaques : équipement de personnes qui n’en auraient pas besoin, vente d’appareils auditifs non conformes, non adaptés ou défectueux. « En santé, cela ne devrait pas exister, d’autant que notre public est souvent vulnérable et âgé. Lorsqu’on vend une aide auditive, on parle de santé, pas d’un simple produit de consommation », s’insurge Brice Jantzem, Président du SDA, le Syndicat des Audioprothésistes à l’origine d’un communiqué rappelant des conseils pratiques pour éviter les arnaques. Brice Jantzem rappelle aussi que le vocabulaire utilisé peut être de la tromperie. On ne doit pas faire croire qu’un avantage est exclusif à un audioprothésiste alors que c’est une obligation écrite dans la loi. Les publicités qui vous incitent à remplir des questionnaires ne devraient pas, par exemple, mentionner « Urgent, il reste 10 aides auditives gratuites à tester » ou « Chez nous, 30 jours d’essai gratuit ». Attention si la personne au bout du fil vous propose un rendez-vous à votre domicile : c’est interdit, les rendez-vous ne peuvent avoir lieu que dans les centres auditifs. Il est également important de rappeler qu’une prescription par un ORL est obligatoire pour pouvoir être appareillé.
On a répondu aux sollicitations …
Les journalistes d’Audiweb ont mené l’enquête en répondant comme n’importe quel patient à une sollicitation par téléphone et une autre par un SMS.
Le SMS annonçait : « Nous recherchons encore 10 volontaires pour tester nos nouveaux appareils auditifs gratuitement ». Un lien menait à un questionnaire. Le nom qui s’affichait, était celui que je n’utilise que pour mon fournisseur d’Internet. Ainsi, je comprends que ce démarchage provient de l’achat de fichier bien documenté. Il est écrit qu’il faut que je réponde à deux questions pour vérifier mon éligibilité. Je m’exécute. « Avez-vous une mutuelle » et « à quelle fréquence avez-vous des difficultés à écouter ». J’envoie mes réponses par un simple clic sur l’écran de mon smartphone. A peine une minute plus tard, mon téléphone sonne et on me propose de répondre à quelques questions pour prendre rendez-vous chez un audioprothésiste. Mon interlocutrice se présente comme l’assistante de l’audioprothésiste. Elle me pose d’abord un certain nombre de questions sur mon âge, mes difficultés d’audition, mon appréciation sur celles-ci et leurs circonstances. Puis elle me demande dans quelle ville et quel arrondissement j’habite. Elle me propose alors plusieurs adresses d’audioprothésistes, tous de la même enseigne. Le jour dit, je me rends au rendez-vous. Pour avoir fait un test récemment, je sais que mon audition a baissé mais de façon raisonnable pour mon âge. Toutefois, je ressens une gêne réelle dans le bruit. L’audioprothésiste me reçoit, me pose différentes questions sur mes difficultés d’audition, vérifie mes tympans et me propose de mettre un casque pour les différents tests. Elle m’explique les tests de façon détaillée. A la fin, elle me rassure et me détaille mes résultats. Mon audition est normale. J’insiste un peu en disant qu’elle n’a pas testé dans le bruit mais elle sourit et me dit qu’avec mes résultats, ce test n’est pas nécessaire et que je n’ai pas besoin d’être appareillée. C’est la réponse que devrait apporter tout audioprothésiste sérieux dans pareil cas. Elle imprime mes résultats et me propose de me recontacter dans un an pour vérifier que tout va toujours bien. Je lui demande si elle sait comment j’ai été recrutée mais elle n’en sait rien. Mon numéro lui a été transmis par sa responsable.
Une approche mensongère mais des audioprothésistes la plupart du temps sérieux
Bien que le message d’accroche fût clairement hors la loi et mensonger, le rendez-vous a été tout à fait correct et professionnel. L’audioprothésiste m’a bien expliqué ses démarches et ne m’a pas poussée à l’achat. L’investigation réalisée lors d’un démarchage téléphonique a donné le même résultat, une approche douteuse avec à la fin un audioprothésiste sérieux.
Reste que, selon certains témoignages, ce n’est pas toujours le cas. Il convient donc de rester sur ses gardes et de privilégier une démarche directe en cas de doutes sur son audition, consulter un ORL ou pousser la porte d’un audioprothésiste.
Hannah David