15/04/2024

De plus en plus d’études scientifiques montrent que le port d’aides auditives pourraient, dans certains cas, retarder le déclin cognitif des personnes âgées.

Isolement social, dépression…la détérioration de l’ouïe est un facteur de risque de la maladie d’Alzheimer. C’est pourquoi, selon une nouvelle étude, les aides auditives pourraient prévenir ou retarder la démence.

A l’heure actuelle, environ 1,5 milliard de personnes souffrent de déficience auditive à travers le monde. D’après l’OMS, d’ici 2050, elles seront 2,5 milliards. Sans surprise, les personnes les plus affectées sont les séniors. En France, la perte auditive toucherait un retraité sur trois. Après 80 ans, 80% des personnes y seraient confrontées. Les personnes âgées sont également de plus en plus touchées par la maladie d’Alzheimer, qui atteint 35,6 millions de personnes dans le monde à l’heure actuelle. En effet, selon l’OMS, cette pathologie, qui affecte progressivement les fonctions cognitives du malade (mémoire, raisonnement, apprentissage, résolution de problèmes, prise de décision, perception, attention…) pour aboutir à une perte totale de l’autonomie, touche 7,7 millions de nouveaux cas chaque année. Et le nombre de malades devrait presque doubler tous les 20 ans. Si plusieurs études ont déjà fait le lien entre détérioration de l’ouïe et démence, notamment en raison de l’isolement social et de la dépression entraînés par la perte de l’audition, une nouvelle recherche enfonce aujourd’hui le clou. Selon un papier paru en janvier 2024 dans la revue JAMA Network, utiliser un appareil auditif pourrait prévenir ou retarder Alzheimer.

Pour en arriver à ces conclusions, des chercheurs de l’Université du Danemark du Sud ont étudié la base de données Hearing Examinations in Southern Denmark. Entre 2004 et 2017, cette dernière a collecté les données auditives d’environ 573 088 personnes âgées de 50 ans et plus vivant dans les régions méridionales du Danemark. Ils ont ainsi remarqué que les personnes âgées souffrant d’une perte auditive et n’utilisant pas d’appareil auditif avaient 20 % plus de risques de développer une démence que les personnes qui entendaient bien. Autre observation intéressante : les seniors souffrant de perte auditive mais utilisant une aide étaient seulement susceptibles à 6% de souffrir plus tard d’Alzheimer.

« Les résultats de cette étude de cohorte suggèrent que la perte auditive est associée à un risque accru de démence, en particulier chez les personnes n’utilisant pas d’appareils auditifs. Ce qui laisse penser que les appareils auditifs pourraient prévenir ou retarder l’apparition et la progression de la démence », concluent les chercheurs.

Un lien déjà prouvé plusieurs fois

Cette recherche elle est loin d’être la première sur le sujet. Selon une étude publiée dans la revue The Lancet en juillet 2020 visant à identifier de nouvelles potentielles causes de démence ainsi que des méthodes pour les prévenir, 40% des cas de démence pourraient être évités ou retardés en ciblant 12 facteurs de risque. Parmi eux, la perte d’audition est à combattre en priorité, puisqu’il s’agirait de la première cause de démence (8%) chez les 45-65 ans. S’en suivraient les traumatismes crâniens (3%), l’hypertension (2%) puis l’alcool et l’obésité (respectivement 1% chacun). En conclusion, les chercheurs recommandaient d’encourager l’utilisation des aides auditives, ainsi que de protéger ses oreilles autant que possible d’une exposition excessive au bruit.

En 2023, une équipe de recherche financée par les NIH (National Institute of Health) et dirigée par le Dr Frank Lin de l’université Johns Hopkins aux Etats-Unis a recruté près de 1 000 adultes, âgés de 70 à 84 ans, pour un essai clinique sur le sujet. Ils ont comparé le taux de déclin cognitif sur trois ans entre les personnes équipées aides auditives et les autres. Résultats : les participants atteints de démence et de perte auditive ont vu leur taux de déclin cognitif diminuer de près de 50% grâce au port d’appareils auditifs.

« Un facteur de risque modifiable »

Si l’on ignore encore s’il existe aussi des liens physiologiques entre la démence et la perte d’audition, pour le Dr Leah Ross, médecin à la division de médecine gériatrique du centre médical Milton S. Hershey de Penn State Health aux Etats-Unis, prendre conscience de cette corrélation est un premier pas important pour faire bouger les choses.  « Il s’agit d’un facteur de risque modifiable, s’enthousiasme-t-elle dans un communiqué paru sur le site de l’Université en février 2024. Il y a quelque chose que nous pouvons faire à ce sujet. »

« Souvent, les gens souffrent de troubles auditifs pendant des années avant même d’en parler à leur médecin », déplore le Dr Ross dont un grand nombre de patients souffre à la fois de démence et de perte auditive. Aux Etats-Unis, 48 millions d’adultes sont touchés par la perte auditive. « C’est la principale chose que je dois combattre en clinique (…) les gens ne prennent pas conscience de la gravité de la déficience auditive parce qu’elle est si courante. Les gens ne font pas le lien avec les effets en aval de ce qui peut se produire. »

L’appareillage, un tabou qui a la vie dure

Par conséquent, de nombreuses personnes ne vérifient jamais leur audition. En mai 2021, l’American Speech-Language-Hearing Association (ASHA) a publié les résultats d’un sondage inquiétant. Celui-ci « révèle un décalage flagrant entre la grande valeur que les Américains disent accorder à leur audition et leur faible volonté d’être traités pour toute perte auditive », écrit l’association sur son site. En effet, alors que 80% des personnes interrogées s’accordent à dire que leur santé auditive est très importante, seuls 20% des sondés ont subi un test auditif dans les cinq dernières années. Pire encore, alors que plus de la moitié des Américains (51%) déclarent avoir des problèmes d’audition, seuls 11% d’entre eux ont consulté leur médecin à ce sujet. Enfin, 78 % des personnes souffrant de problèmes d’audition rencontrent ces difficultés depuis un an ou plus et plus d’un tiers (35 %) depuis cinq ans ou plus.

En France, où la perte auditive demeure également un vrai tabou, on observe le même genre de comportements. En 2019, une enquête JNA (Journée nationale de l’audition)-Ifop montrait que 93% des Français reconnaissait l’impact de l’audition sur la vie sociale. A tel point que neuf personnes sur dix (88%) se disaient prêtes à porter une audioprothèse si leurs capacités auditives venaient à se dégrader. Pourtant, dans les faits, « plus la sensation de capacités auditives baisse, moins les Français accepteraient de porter des aides auditives. Face à une baisse de l’audition, et une plus grande nécessité à se faire appareiller, les Français sembleraient moins enclins à franchir le pas de l’appareillage. Barrière psychologique ? Accepter son « handicap » ? », analysait l’étude.  « Être appareillé, encore pour certains, fait vieux et demeure psychologiquement mal vécu », expliquait alors la JNA à l’occasion de la Journée nationale de l’audition cette même année.

Ces données ont toutefois été collectées avant l’instauration du 100% santé au 1er janvier 2021. Or cette réforme semble déjà avoir eu un grand impact sur l’achat des prothèses en France puisque selon le Syndicat national des audioprothésistes (SDA), le nombre d’appareils auditifs vendus a augmenté de 50% en 2020 par rapport à 2019.

Raphaëlle de Tappie